Terre de désolation, monde de guerre, coup bas et profits ... sommes nous si différents de ceux que nous méprisons, sommes nous de meilleures personnes ? Quand bien même notre peuple est devenu sanguinaire et désespéré de tout retour de paix, nous sommes humains, nous luttons pour survivre, nous essayons de tracer notre route en ce bas monde aussi paisiblement que possible... sans doute pas tous, mais pour ma part je m'y emploie.
Ce territoire sur lequel nous vivons en petit comité est ma maison depuis toujours, j'y suis née, j'y ai poussé mes premiers cris, j'y ait joué, pleuré, ri, dansé, et aussi dérisoire soit-il, je m'y sens chez moi, parmi les miens, et je ne verrais plus ma vie loin de ce bout de terre qui nous est offert par la nature qu'il nous reste.

Je suis née en 2024, un jour d'octobre, dans l'une des cabanes de fortune, l'emménagement n'était pas le même à l'époque, les conditions de vie non plus, et mettre au monde un enfant dans une telle situation, alors que des complications se présentent n'est pas de bonne augure, et pourtant, je suis née, sans encombre, en bonne santé. Ma mère quand à elle a rendu son dernier souffle avant même de pouvoir me voir ou me toucher, j'étais comme un cadeau qu'elle devait payer de sa vie, un échange en fin de compte. Mon père, lui, n'était déjà plus de ce monde. Ce fut alors deux vieilles dames mariées qui m'accueillirent comme si j'étais leur fille. Marge et Suzanne s'appelaient-elle... je n'ai jamais eu connaissance de leur nom de famille, mais ici, peu importent les noms, nous sommes tous égaux, pataugeant dans la même boue.
Je n'étais encore qu'une enfant, je devais avoir environs six ans lorsque la première "rafle" d'enfants eu lieu, pour moi qui n'avais pas encore vécu cela. Nous n'avions pas eu le temps de tous nous cacher, moi encore moins que d'autres, trop occupée à chercher ma poupée de chiffons faite par tante Marge. Aussi bien que je m'en souvienne, comme un rêve qui s’efface au fil des minutes, je sens encore la main brutale d'un homme que je ne reconnaissais pas être de notre village. En un quart de secondes, il m'installa sans vergogne sur sa forte épaule comme si je n'étais pas du tout une charge. Je pouvais le frapper, hurler toute ma peur près de ses oreilles protégées, il ignorait toute réaction venant de moi, je n'étais pour cet "homme" qu'une vulgaire poupée de chiffon, celle là même qui m'avait attiré dans les pinces infernales de ce kidnappeur. Je n'ai plus grand souvenir des détails, tout ce qu'il reste dans ma mémoire se trouve être l'intervention des rebelles du village, maintenant plus appelés les résistants. Si je suis encore ici, c'est grâce à eux, et je n'aurais de cesse de les voir comme trop violents, mais tout de même comme des héros qui font couler le sang.

Je crois que je ne fus pas traumatisée bien longtemps, assez peu pour retrouver le peu d'amis qu'il me restait, et ceux qui étaient encore parmi nous étaient pour la plupart des garçons, la plus grande majorité des enfants enlevés étant des filles. Je me fondais plutôt bien dans la masse, j'avais les cheveux courts, garçon manqué que j'étais, je jouais aux mêmes jeux qu'eux, sans faire vraiment attention aux dangers, je parlais comme eux... En fait, si je réfléchis bien, je n'ai jamais été trop entreprenante auprès des hommes, et eux non plus envers moi à vrai dire, bien qu'en grandissant, j'obtenais de plus en plus de succès, mais je me fichais bien des garçons de mon âge, j'étais bien plus émerveillée par ceux qui rejoignaient la résistance.

J'y entrais à mon tour, moi, une femme, je voulais rejoindre les rangs de la résistance, sans pour autant me battre, ayant horreur de tout ce qui pouvait être belliqueux. Je devins alors une sorte d'aide soignante, ou plutôt une infirmière après avoir appris quelques gestes qui sauvent. C'était moi qui pouvait les sauver à présent, je pouvais enfin rendre la pareille. J'y restai quelques années, c'était plutôt calme la plupart du temps, mais les petits bobos fusaient après les entrainements. Comme il aurait été trop beau que tout reste ainsi, un raid du haut vint nous surprendre après une longue période de tranquillité. Pour une fois, on peut dire que tous n'étaient pas prêts et beaucoup furent tués sous mes yeux tandis que le médecin me demandait expressément de ne pas bouger. Alors quoi ?  Je devais rester ici, cachée derrière de vieilles palettes de bois, et regarder tout mes amis perdre la vie  ! Jamais ! Je m'élançai au coeur de la bataille pour y récupérer l'un des notres qui avait été blessé, mais l'un des hommes venant de la plateforme me blessa à l'épaule à mon tour. Rien ne m'empêcha de ramener l'homme, aidée par l'un de ses collègues. Le projectile n'était pas passé loin de mon coeur, mais j'étais seine et sauve.

C'est après cela que je rencontrai mon homme, celui qui était devenu mon mari en peu de temps. Il était soigneur, et s'occupa de moi durant toute ma convalescence, plus longue que prévue. Autre chose qui voulu m’ôter ma joie de vivre. Des sensations étranges parcourant tout le haut de mon corps, des douleurs au niveau du cœur. Je ne le savais pas encore, mais j'étais atteinte d'une maladie de cœur qui m'emportait loin d'ici à chaque fois que je faisais une "crise". La nouvelle ne fut pas plus douce de sa bouche. Je devais vivre sous un traitement que nous n'avions pas, ce n'était des plus rassurants. Au jour d'aujourd'hui, je suis obligée d'ingérer une préparation calmante préparée par les soins de mon mari, pour ne pas agiter mon coeur malade.

J'ai finalement quitté la résistance, je ne pouvais plus rien pour eux, et m'entendant à merveille avec la plupart des habitants de notre communauté, je devins une sorte d'intendante du village, sans vouloir vraiment de ce poste officiellement. Je me considère être un peu comme la maman de cette population rajeunissante de notre petit chez nous, j'essaie de veiller sur eux comme je le peux, quitte à me mettre en danger s'il le faut. Je me donne un semblant de "luxe" dans notre cabane, m'improvisant au bricolage incertain, je profite de chaque instant qui m'est donné, car je ne sais pas combien de temps je pourrais vivre parmi tout ces gens que j'aime, et me dire que je peux mourrir à n'importe quel instant m'effraie. Je suis encore cette petite fille kidnappée par une virulente maladie, et tout ce que je peux attendre, c'est de voir combien de temps je pourrais calmer ces petits nouveaux arrivants et nids résistants trop emplis de colère dans leur coeur.

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