Saute ! SAUTE ! Un dernier regard apeuré, un souffle roque puis un cri tandis qu’il se sentait tomber de la falaise. Fillin avait envie de pleurer mais l’adrénaline retenait toute sa peur dans sa poitrine et ce ne fut qu’un hoquet sourd qui sortit de sa bouche lorsqu’il entra en contact avec l’eau glacée. Un instant, il eu l’impression de voler tandis que la masse liquide se faisait de plus en plus oppressante au-dessus de sa tête. Puis la peur de nouveau, l’impression d’étouffer, de mourir, d’être emporté. Battant comme il pouvait des bras, se sentant entravé par ses vêtements le petit garçon releva la tête, il fallait qu’il remonte.
Nouveau contact, l’air lui frappait le crane et les joues, le glaçant sur place. Un nouveau cri, et un rire qui se faisait entendre en écho plus loin au-dessus de sa tête, une tignasse blonde l’observait, un sourire étirant ses lèvres, la réaction du petit garçon l’amusait bien.
Une nouvelle voix et un empressement apeuré venant de sa mère le tira de la rage qu’il ressentait envers sa sœur et poussa Fillin à agiter encore plus fort ses bras engourdis par le froid afin de rejoindre le rocher le plus proche afin de s’y accrocher.
Derrière les deux femmes, son père l’observait, un regard réprobateur et critique. Conan O’Finnigan avait toujours trouvé que son fils était la pire des mauviettes, il n’avait d’yeux que pour Abigael depuis la naissance de cette dernière, et il n’y avait guère que la mère de Fillin qui lui démontrait un semblant d’affection, le surprotégeant comme on l’aurait fait avec un nourrisson.
La petite famille Irlandaise faisait partie des survivants, et Conan ne cessait de s’en vanter, trouvant formidable que la petite famille d’agriculteurs qu’avait formé ses ancêtres ait réussit à survivre au cataclysme qui avait ravagé la Terre. Etabli à Cork avec d’autres survivants Irlandais, les enfants étaient nés au milieu des décombres. Fillin avait toujours détesté la vie en communauté que les survivants avaient instaurée, face aux autres enfants il était malingre et idiot et ne trouvait pas sa place, préférant de loin rester dans son petit trou noir à gratter la terre à la recherche de petits objets qu’il collectionnait avidement.

« - Rentrons !
- Et Fillin ?
- Il a été assez idiot pour sauter, il va falloir qu’il se débrouille pour remonter.
- Je vais l’attendre ici. Abigeal va avec ton père. »

Combien de temps avait-il mit pour remonter ? Une ou deux bonnes heures, escaladant le pique de la falaise pour rejoindre sa mère, maudissant sa sœur. Il n’avait que cinq ans et tout son monde ne semblait tourner qu’autour de cette petite peste qu’il ne pouvait cependant pas s’empêcher de suivre.
Enveloppé dans l’épais pull en laine brune de sa mère, Fillin rejoignit le village sous les remontrances de la femme qui lui avait donné la vie. Retrouvant la hutte où ils vivaient, il s’assit à côté du poêle pour se réchauffer. Mais il n’eut pas le temps de permettre à ses doigts de quitter la couleur bleuté qu’ils avaient pris que déjà des cris se faisaient entendre tout autour d’eux. Le père sorti, s’armant d’une barre de fer au bout pointu.
Abigeal se colla au dos de son frère tandis que la mère tentait de fermer comme elle pouvait la vielle fermeture éclaire qui séparait les deux pans de tissus qui leur servait de porte. C’était rudimentaire, mais leur communauté était nomade et la logique avait voulu que rien ne soit fabriqué dans des matériaux difficiles à transporter.
Des bruits mats de coups, des cris d’enfants et de femmes ne cessaient de leur parvenir aux oreilles. Abigael se serra un peu plus contre Fillin qui passa un bras autour de ses épaules.
Un homme entra, frappa leur mère à la tempe et observa les deux enfants.
Fillin était là, les yeux rivés sur l’ombre noir, fasciné par la manufacture de son accoutrement, la précision de son arme, l’épaisseur des semelles de ses chaussures. Un petit cri, et Abigael fut emportée, Fillin tenta bien maladroitement de la retenir par la main, mais cette dernière glissa et lui échappa.
Un dernier regard, et les yeux bleu de la demoiselle emplis de larmes se posèrent sur ceux désemparés et envieux de son frère.

« - ABIGAEL ! »

***

Se réveillant dans un sursaut, la poitrine inondée de sueur et ses cheveux emmêlés, Fillin regarda un instant autour de lui, il n’était plus dans la hutte nomade, il n’avait plus cinq ans, il était un adulte et autour de lui se trouvaient les ruines d’une ancienne maison pavillonnaire qui était devenu son logis.
Attrapant son t-shirt noir sur la commode faite de bric et de broc, il s’épongea le visage et le torse avant de plonger sa tête entre ses mains, respirant profondément. Encore ce cauchemar, encore ce jour qui le hantais, et encore cette haine qui l’habitait. Pourquoi ce n’était pas lui qu’on avait choisi ? Pourquoi était-il resté ici lui ? Pourquoi depuis toujours avait-on préféré sa sœur à lui ?
Poussant un petit cri de rage, le jeune homme sauta sur ses jambes, quittant ainsi la paillasse qui lui servait de lit, et fit les quatre cent pas dans sa petite baraque.
Il avait pourtant remué la situation dans tous les sens, et aucune raison valable ne lui venait en tête, seuls quatre gamins avaient été laissé sur place parmi le groupe de survivant, et tous avaient une pathologie mis à part lui.
Se mordant la lèvre, Fillin se dirigea vers la fenêtre, il vivait en marge de cette ville où il avait pris ses marques après avoir quitté Cork, ici, il avait appris à connaître et reconnaître tout le monde. Personne ne lui faisait confiance, personne ne semblait vouloir vraiment adopter le rouquin dans la communauté, mais au fond ils avaient tous besoin de lui, car il n’y avait pas meilleur fondeur dans tout le village et lorsqu’on souhaite avoir une casserole de bonne qualité, il fallait bien s’adresser à quelqu’un.
Le soleil matinal n’allait pas tarder à pointer le bout de son nez, et comme à son habitude, Fillin avait se poster non loin des points de chutes des patrouilles du monde d’en haut, évitant bien soigneusement la résistance et les gros lourdauds qui l’a composait, là il chercherait encore la faille, le détail, le petit coup de pouce qui pourrait le faire monter sur cette plateforme ou la vie semblait si différente et si agréable comparée à ici.
Et en ce qui concernait les remords et les inquiétudes des survivants, tout ça c’était leurs problèmes, puisqu’ils semblaient se contenter de leur sort, et considérer que leurs enfants étaient bien mieux à leurs côtés au milieu de toute cette gadoue, alors grand bien leur fasse, lui n’était pas de cette avis-là, et bien qu’il ne chercha jamais à défrayer la chronique, l’irlandais avait toujours su qu’il n’était pas comme les autres, et visiblement bien trop en marge pour trouver sa place où que ce soit.

   

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