Je suis né un 26 juin à l’aube d’un été particulièrement chaud. Mes parents étaient déjà relativement âgés quand ils se sont rencontrés, avant la fin du monde comme on dit ma mère avait une famille, elle était mariée à un autre homme et avait deux enfants, tous les trois sont morts noyés. J’essaye de ne pas y penser mais parfois un fol espoir me gagne, celui qu’ils soient toujours en vie quelque part, enfin je suppose que tous ceux qui ont perdu des proches ont un jour ou l’autre eu la même pensée. Mon père lui ne s’est jamais marié, il était musicien et menait une vie de débauche avec son groupe, quand je vois l’homme qu’il est aujourd’hui j’ai peine à y croire.

J’étais un enfant gai paraît-il, je me souviens surtout d’avoir toujours tout essayé pour donner le sourire à ma mère, je sais qu’elle nous aimait mon père et moi mais comment survivre à la perte de deux enfants, elle a tenté et malgré mes efforts ce ne fut jamais suffisant. Petit je les ai jalouse d’avoir un jour été deux là où moi j’avais toujours été seul, plus tard j’en suis venu à les haïr me persuadant qu’ils avaient tué ma mère, maintenant je ne sais pas, je crois que toute cette rage qui m’habitait a finalement disparue, j’ai pris conscience que personne n’était fautif, c’était juste inévitable.
Elle s’est donné la mort alors que j’avais huit ans et aujourd’hui j’ai peur, chaque jour qui passe efface un peu plus son visage de ma mémoire, je me souviens de ses cheveux qui avaient la couleur des rayons du soleil et de son odeur de pain chaud, je me souviens des sourires qu’elle m’accordait et du chagrin qui se peignait sur son visage quand elle se croyait seule.
Mon père lui a arrêté de rire à sa mort, son visage semble être devenu de pierre, je crois que le gamin que j’étais avait besoin de se raccrocher à quelqu’un mais je me suis heurté à un mur avec lui. Il travaille comme fossoyeur, fossoyeur… quelle blague, ça fait bien longtemps qu’on enterre plus personne, chaque parcelle de terre est trop précieuse pour ça, à la place on met les corps dans des barques funéraires qu’on enflamme quand elles sont au large.
D’aucuns trouvent ça poétique, ils se disent que les morts s’échappent de ces terres, moi je trouve ça cruel, après avoir passé une vie entière sur une terre piégée par les eaux on te condamne à finir dans cette même putain d’eau, enfin moi s’que j’en dis…
De son vivant ma mère aidait mon père, c’est elle qui préparait les corps, j’ai dû la remplacer quand… enfin vous voyez quoi. Mon père m’a épargné de devoir m’occuper d’elle, je crois qu’il voyait une sorte de symbolique dans le fait de s’en occuper seul, une manière de faire son deuil quoi. Deux jours plus tard une famille est venue requérir ses services. J’étais tout minots et il est venu me chercher dans ma chambre, sans me regarder il m’a dit qu’il était temps à présent pour moi d’apprendre le métier. J’avais huit ans merde ! Huit ans et je me suis retrouvé confronté à un corps froid. Ce soir-là j’ai fais un cauchemar, je ne sais pas si mecs sanglots l’ont réveillé ou si je l’ai appelé, toujours est-il qu’il a pénétré dans ma chambre et m’a toise un moment avant de me gifler en m’intimant de dormir car le lendemain j’apprendrais à construire ma première barque. Je trouve que cela résume assez bien ma relation avec mon père.

Les années ont passé, j’ai grandi et apprit à ne plus avoir peur des morts, je trouve même parfois une sorte d’apaisement à faire ce que je fais, je leur parle tout en m’appliquant à ma besogne, je leur dit de ne pas avoir peur et je leur demande de transmettre des messages à ma mère, peut-être m’entendent-ils. Un jour mon père m’a surprit alors que je leur murmurais de prendre soin d’elle, il a décrété qu’il était temps pour moi de fréquenter un peu plus les vivants.
J’ai tenté de tisser des liens avec ceux du village mais les s’évertuent à m’éviter du regard ou alors m’adressent un sourire gêné à moi le gamin qui déshabille, nettoie, rhabille leurs mère, père, sœur, frère, fille, fils. Ceux de mon âge me considèrent dans le meilleur des cas comme bizarre mais le mot qui revient le plus sur les lèvres est « monstre ». Qu’est-ce qu’ils croient ? Que j’y prends du plaisir ?! Que j’ai le choix ? Oh et puis merde hein… merde…
Avec les conditions de vie que sont celles de ceux coincés sur terre le travail ne manque hélas pas pour mon père et moi, j’appréhende chaque réveil et le lot de morts qu’il apportera peut-être, dès que je peux je fuis dans cette sorte de mangrove qui nous entoure et à l’aide de mon couteau de sculpte des animaux d’après les descriptions qu’on a pu m’en faire, mon habileté à manier le couteau m’a amené petit à petit à songer à entrer dans la résistance. Je ne fais pas parti de ces fanatiques qui ont perdu des parents à cause de ceux du haut mais j’ai besoin de prouver que je peux faire autre chose que ça, j’veux qu’ils se disent « merde en fait on l’avait mal jugé » je sais que c’est puéril, je sais que ce ne sont pas les meilleurs raisons qui soient pour devenir soldat mais voilà ce sont les miennes, alors je compte les jours jusqu’à mecs vingt-deux ans et là ils verront qui est réellement Pio Hawkins.

   

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