Madame tout le monde : femme qui ne se fait pas remarquer, qui ressemble à la moyenne.


On en croise tous dans notre vie une personne sans histoires, un monsieur ou une madame tout le monde, gentil, mais... De qui parle t'ont déjà ? Aussitôt évoqué, aussitôt oublié. On peine à mettre un nom sur le visage ou un visage sur le nom, on voit vaguement de qui il est question et on le qualifiera volontiers de brave, mais ça n'ira guère plus loin. Au fond, qu'à ton à dire sur les monsieur et madame tout le monde ? Pas grand-chose, ils sont tristement banals. Voisins de paliers, collègues de bureau, commerçants du coin, tout le monde connaitra dans son entourage une personne qui répond aux critères pour accéder à ce titre.

Oona Thompson fait partie de cette classe presque invisible de ceux qui nous sont vaguement familiers et qui semble avoir un quotidien assez insignifiant pour ne pas vraiment y prêter attention.

Sur ses épaules depuis son plus jeune âge, le fardeau de la réputation de ses parents qui selon les langues furent qualifié de farfelus, marginaux ou fous à lier. Née sans avoir recours à la science de ce couple de survivants n'ayant jamais voulu prêter leur corps au progrès, Oona fait donc partie de ces enfants conçus de manière « rustique » selon l'époque dans laquelle elle vint à grandir. Sa mère et son père lui apprirent à toujours en être fière et c'est eux qui se chargèrent de son éducation jusqu'à son entrée à l'école, l'abreuvant de récits venus de l'autre monde et lui inculquant des principes assez simples : il n'est pas correct de jouer avec la vie et si le destin a choisi que c'est ton heures, reculé l'échéance, c'est se prendre pour dieu. Toujours est-il que la gamine pris du temps à accepter de voir le temps effacé les traits lisses sur les visages de ses parents tandis que tous les autres adultes semblaient avoir atteint cette capacité de ne jamais vieillir. Quelque chose l'effraya profondément dans l'idée de laisser son corps flétrir et elle n'acceptait déjà pas l'idée qu'un jour elle aussi se retrouverait peut-être être la seule personne âgée au milieu d'une foule de jeunes visages.

Enfant solitaire et lunaire, on se souvient d'elle comme une fille sage et presque mutique, terriblement maladroite mais plutôt volontaire. Bonne élève, ses résultats étaient plutôt satisfaisants quoi que parfois un peu faiblard dans certaines matières mais les professeurs qu'elle put côtoyer, satisfaits avant tout de son comportement exemplaire, ne lui prêtaient pas plus d'attention pour pouvoir se concentrer sur les autres cas plus indisciplinés de la classe. On venait d'ores et déjà de lui donner la couleur de ce que serait sa vie future.

Mal fagoté, pas pour un sous féminine, les garçons l'adoptèrent comme l'un des leurs en faisant souvent abstraction du fait qu'elle était une femme en devenir. Elle ne s'en formalisa pas, Oona était avant tout heureuse d'avoir un groupe d'ami solide avec qui elle partageait des passions communes, loin d'être celles qui animaient normalement les filles de son âge. N'assumant pas toujours ce statut, si avec eux elle était libre et laissait s'exprimer ce petit grain de folie qui l'habitait sans qu'on ne puisse le deviner au premier abord venant d'elle, devant les autres elle baissait la tête. Comment faire entendre qu'elle aurait parfois voulu ressembler à celles qui faisaient rêver les hommes ? Elle s'en sentait cependant à l'époque déjà incapable et préféra se cacher derrière ces pulls qualifiés souvent d'improbable par son auditoire en faisant profil bas.

À défaut de pouvoir s'intégrer convenablement au monde réel, Onna modélisa le sien dans lequel elle laissait libre cours à son imagination de s'exprimer. Chaque journée un peu trop morne se devait avoir son lot d'aventure et elle matérialisa chacune d'entre elles sur papiers sous forme de bande dessinée. Régulièrement, elle faisait partager ses créations à ses amis et bien vite cela devint un rituel hebdomadaire de leur transmettre la suite des aventures de ses personnages semaines après semaine. Elle n'eut cependant jamais pour ambition de faire de sa passion un métier et c'est ainsi qu'au moment où tous ses petits camarades quittèrent l'école pour entrer dans la vie active, la jeune fille s'engagea à vingt-cinq ans dans une filière scientifique afin d'intégrer les rangs de Biotechn.

Un choix muri depuis plusieurs années déjà et qu'elle assuma difficilement auprès de ses parents réticents à ce qu'elle rejoigne l'entreprise. Seulement pour elle, Biotechn avait toujours représenté l'avenir et c'est avant tout en vue de se battre pour un monde meilleur qu'elle décida de se spécialiser en la matière. Éperdument idéaliste et un brin naïve, elle s'engagea sans plus réfléchir dans cette voie puisqu'on avait tôt fait de lui avoir souligné qu'elle disposait d'aptitude notable pour pouvoir postuler à un poste. Elle avait beau passer plutôt inaperçu ses supérieurs ne manquèrent pas de remarquer ses capacités, on la destinait déjà à une place confortable et on garda un œil attentif sur son parcours. Comment justifier alors son échec qui la conduira à être évincée de l'établissement ? Même elle ne peut l'expliquer.

À vrai dire, elle aura beau se concentrer de toutes ses forces, cette période de sa vie reste étrangement floue. Elle se rappelle avoir été noyée de travail, avoir révisé comme une forcenée pour chacune des épreuves, rien à priori n'explique alors ses lamentables résultats finaux. Elle se rappelle avec plus ou moins de clartés la déception de son référent qui l'avait prise à part pour lui annoncer qu'elle était renvoyée, ne se rappelait par contre plus vraiment si elle s'était battue pour garder son poste. À presque trente ans, Oona se retrouvait à la porte et si elle devait être amenée à faire un bilan de sa vie, il serait plutôt désastreux. À la même période, sa mère tombe malade mais continue de refuser toute régénération cellulaire qui pourrait conduire à la guérir. Depuis, elle fait tous les jours l'allé retour entre l'appartement et l'hôpital.

Quelques mois que ses aller-retour sont devenus quotidiens. La situation d'Oona ne s'est pas améliorée et la jeune femme n'a plus jamais retrouvé de travail à la hauteur de ses années d'études. Enchainant les boulots alimentaires plutôt ingrats, elle continue de tracer sa route au milieu de la foule, ne se détachant du lot ni par son charisme ni par son audace. Elle cultive le rêve de faire publier certaines de ses histoires dessinées maintenant qu'elle n'a guère autre chose à quoi se raccrocher. Cependant, elle a beau eu pour le moment frappé timidement à plusieurs portes, cela n'a jamais eu de suites. Pour poursuivre la liste des petits désastres, sa vie amoureuse est en berne. Elle n'a eu que peu d'aventure avec la gente masculine et garde rarement de bons souvenirs de ses histoires, s'embourbant la plupart du temps dans des liaisons qui ne lui convienne pas ce qui l'a souvent poussé à se remettre en question. Oona aujourd'hui ne peut pas s'empêcher de tenter de séduire ou d'attirer un minimum d'attention sur elle quand l'occasion se présente, plus part dépit que véritable envie, mais ses tentative souvent soldée d'un échec et si une part d'elle refuse de finir seule l'autre s'est déjà fait à l'idée qu'elle ne trouvera pas chaussure à son pied tant qu'elle ne sera pas une autre. Trentenaire, elle n'a pas grand-chose à offrir aux hommes de plus en plus enclins à apprécier la jeunesse et sa situation est loin de faire rêver qui que ce soit. Qu'à cela ne tienne, Oona s'accroche désespérément à sa jeunesse et ment parfois sur son âge pour ne pas que la sentence soit trop difficile à encaisser. Comme tant d'autre, elle cherche encore sa place.

Cependant, il y a quelque chose qu'elle n'explique pas, quelque chose dont elle n'a parlé à personne et qui la dépasse autant qu'elle l'effraie : la tournure des aventures de ses personnages dans ses bandes dessinée. Son coup de crayon est devenu effrayant et ses dessins presque cauchemardesques, ils n'ont pas grand sens, mais tout lui échappes sans qu'elle n'ait foncièrement de contrôle dessus. Elle a beau placer tout cela sur le dos d'une dépression latente, elle ne justifie pas ce qui se couche sur ses feuilles. Il est toujours question de scientifique et de torture, d'histoire qui la dépasse et qui n'ont ni queue ni tête, elle a décidé de ranger tous les dessins qui se rapportent à cette histoire dans un classeur qu'elle ne consulte que très rarement et à défaut de pouvoir comprendre, elle cherche à ne pas le justifier.

Ce qu'Oona ignore, c'est que sa mémoire est altéré, que quelques mois de son existence sont à jamais effacés de son esprit et que plus jamais elle n'y aura accès. La jeune femme a effectivement compris petit à petit les véritables intentions de Biotechn, la vérité sur le monde d'en bas, le prix de l'avancer de la science et ne l'a pas supporté. On avait un œil sur elle, on le voyait douter, ne pas réussir à supporter le poids des révélations et ses supérieurs comprirent qu'il fallait agir avant qu'elle ne tente quelque chose de préjudiciable contre l'entreprise. Pour le bien de le Biotechn, on éradiqua de son esprit les derniers mois passés au sein de l'établissement. On y vu que du feu, après tout qui pouvait se vanter de vraiment connaitre Oona Thompson dans l'entreprise ? Personne, aussi personne ne remarqua son changement d'attitude ou ne déplora son départ.
   

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