Je suis né en 2022, sept années après que les eaux aient ravagé l'ancien monde. J'ai pu observer avec mes yeux d'enfant à quel point le traumatisme était ancré chez les survivants, j'ai vu les adultes lutter pour s'en sortir, une solidarité sans pareil se développer, les esprit se regrouper pour tenter de faire de nos vies quelque chose de moins précaire, j'ai également grandit en écoutant les histoires sur la terre telle qu'elle l'était avant ma naissance, cette réalité qui est celle de mes parents est devenue une sorte de mythe pour moi.
Mon père est pêcheur et ma mère soigneuse, ils nous ont apprit à mon frère et moi l'humilité et l'importance de l'entraide, ils ont aussi tenté de nous protéger, ne nous parlant que très peu de ceux de la plateforme, c'était une sorte de tabou familial.
Mon frère Conor était mon héros, je me souviens de nos jeux sur le terrain vague, il m'apprenait à attraper les grenouilles et m'a offert mon premier couteau en me faisant promettre de garder le secret. Quand nous avions pas école nous allions apprendre à pêcher avec notre père, et parfois apprendre des rudiments de premiers-secours avec notre mère, nous jouions à chat dans les ruelles avec nos amis, je cours vite mais je nage mieux. Ma mère à pour habitude de dire que j'ai su nager avant de marcher, comme beaucoup j'ai une relation d'amour/haine envers l'étendue d'eau qui nous encercle, mes sentiments sont tellement entremêlés que parfois je m'y perds moi même, d'ailleurs la nage c'est le seul point sur lequel j'ai toujours été meilleur que Conor. Nous étions une bande d'amis soudés, toutes les bêtises que des enfant puissent commettre nous les avons faites, nous étions 6, 5 garçons et une fille, Opaline. Inutile de préciser que nous étions tous amoureux d'elle, Opa c'était un peu notre chef, les pires idées venaient d'elle mais nous nous dénoncions toujours à sa place fous que nous étions, tous amoureux d'elle mais c'est Conor qu'elle choisit bien des années plus tard, forcement. Parfois nous attendions que nos parents soient endormis et nous nous éclipsions discrètement, avec toutes nos heures passées en mer avec notre père nous avions apprit à naviguer aussi nous volions le bateau, nous n'allions pas loin mais juste suffisamment pour se sentir les rois du monde, nous regardions les étoiles depuis notre petite embarcations mais surtout la plateforme. Illuminée de mille lumières nous la regardions avec envie, le soir il n'en restait rien de l'ombre menaçante qu'elle faisait planer sur nos terres, nous ne réalisions pas enfants que nous étions que les dieux d'en haut n'en avait cure de nous, nous nous sommes fait une promesse, celle une fois adulte d'aller vivre là-haut, persuadé qu'une vie meilleure nous y attendait.
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Puis les années passèrent, nos rêves de jeunesse s'évaporaient au fur et à mesure que nous prenions connaissance de la réalité de la vie. Je me souviens de la première fois où mes yeux de jeune adulte virent la violence des visiteurs venu de cet endroit si paradisiaque dans nos petites têtes. La plupart tentaient de se cacher, j'avais échappé à la vigilance de mes parents, et je pouvais à présent tout voir. Tout ce qui m'avait été caché jusqu'ici, tout ce que j'aurais du toujours savoir. Comment mes parents avaient-ils pu me mentir à ce point en m'occultant la vérité ? Les cris des mères de mon peuple, le son des coups portés sur le corps d'hommes qui étaient pour moi comme des oncles, ou encore le kidnapping sauvage des plus jeunes enfants, je ne l'oubliais pas, je ne l’oublierais jamais, et pendant longtemps mes cauchemars se nourrissaient de ces images, encore aujourd'hui je n'oublie pas.
Cette bâtisse que nous admirions avec convoitise depuis notre enfance, était à présent devenu une menace.
A la suite de ce qui était pour nous, la découverte d'un acte cruel, Conor entra sans préavis dans le groupe de rebelles, les résistants. Armes improvisées, stratégies de combat, ils tentaient de former une petite armée contre les scientifiques du monde du haut, sous mes yeux contemplatifs, et mon frère était à présent des leurs. J'avais vingt et un ans, et il ne me manquait qu'une année pour pouvoir rejoindre mon frère dans ce combat qui était celui de tous, pour notre honneur, pour ce qu'il nous restait de vie. Autant d'amour j'avais pour mon frère, cela n'empêchait pas que je ressente envers lui une certaine jalousie impossible à réfréner. Il était beau, gentil, il se battait pour nous et avait la femme la plus belle de notre communauté, et pour parfaire le tout, Opaline tomba enceinte, et aussi inquiétant que cela puisse être, cela rendait mon frère plus heureux que jamais.
Dans le même temps, mon âge m'autorisa d'entrer chez les résistants, j'allais enfin pouvoir me montrer plus utile qu'en pêchant de vulgaires poissons pour tout le monde. Depuis le temps que j'enviais ceux qui avaient l'occasion d'apprendre à se battre, que j'observais chacun des entrainements de mon frère, là, c'était mon tour. Déception totale, ils me refusèrent sans raison valable, alors qu'habituellement, ils ne prenaient pas tant de critères en considération. Je compris quelques semaines plus tard que Conor était à l'origine de ce rejet. Alors comme ça, il voulait m'éloigner de sa vie, m'écarter de tout ce qui touchait de près ou de loin à la défense de mon peuple ! Un période de froid s'installa entre nous, lui tentant désespérément de m'expliquer qu'il ne pensait qu'à mon bien, et moi qui faisait mon rancunier, et lui lançait de cinglantes répliques en plein visage. Que j'avais la rancune tenace, je le reconnais, c'était vraiment insupportable parfois.
Jusqu'à ce jour, jusqu'à cette heure, cette minute précis ou je le vis perdre la vie sous mes yeux, impuissant face à ce qu'il se passait, je n'eut que le spectacle du coup de feu qui envoya mon grand frère de l'autre côté. Il avait défendu sa famille, son enfant déjà âgé de trois ans. Même la force d'une dizaine de résistants n'avait pas eu de succès face à la force des armes.
Il n'est donc pas aisé de comprendre pourquoi je réside aujourd'hui dans ce monde du haut qui m'a tout pris.
A la suite du décès de Conor, en regardant la barque enflammée consumer le corps de ce frère que j'avais ces derniers temps tant repoussé, je ne pouvais m'empêcher de regretter ces jours où nous étions si innocents, si insouciants. Mes larmes ne coulèrent pas longtemps, je n'étais pas le genre d'homme à se morfondre lamentablement sur mon sort. Il fallait que j'agisse, je ne pouvais rester plus longuement simple témoin de la déchéance des miens. J'avais ma propre mission : venger mon frère, et retrouver mon neveu, je n'avais que cela en tête, et ma seule contrainte était que je devais patienter sous les ordres du chef de la résistance. Le jour que j'attendais se présenta enfin, l'un de nous allait être intégré sur la plateforme, et sachant les détails de ma quête, Travis Wagner me désigna comme le plus apte à mettre cette mission à exécution. Il me désigna donc comme "élu de la plateforme". Je partageai mes derniers instants dans le monde du bas avec mes parents vieillissants que je n'avais plus vraiment espoir de pouvoir revoir, mes amis et collègues, et mes dernières minutes furent pour Opaline. Elle avait tant perdu, et elle était encore debout, aussi forte que lorsque nous étions enfants. Je n'effacerais jamais de ma mémoire ce baiser qu'elle déposa sur mes lèvres, et qui restera à tout jamais gravé dans mon esprit. Je ne m'étais pas permit d'y répondre, par respect par Conor, et je pris cela comme un simple encouragement de sa part, espérant toutefois au plus profond de moi-même, que c'était le résultat de sentiments qu'elle aurait pu ressentir à mon égard.
Je devins finalement un garde des scientifiques, originaire de la plateforme de Manchester. Sous ma propre identité, je servais ces êtres abominables que je rêvais de tuer, j'étais l'homme de confiance, personne ne soupçonna quoi que ce soit. Avec les quelques scientifiques rebelles qu'il y avait à Biotechn, nous faisions passer des informations et calculions des stratégies pour un jour faire couler les scientifiques. Les années passaient, je n'avais toujours aucune trace de mon neveu, la déception me prenait souvent aux tripes, provoquant quelques coups de blues que j'allais noyer sous un ou deux remontants. Encore aujourd'hui, il m'arrive de me dire que tout ça irait plus vite si nous mettrions le feu à tout ces infâmes laboratoires, mais je m'en tiens au plan, je sais que nous réussirons un jour, et je serais là pour le voir. Je sais que les habitants de la plateforme ont du cœur, et j'oublie parfois d'imaginer qu'ils font partie de mes ennemis, ils utilisent le rajeunissement cellulaire, résultat des recherches sur les survivants de mon peuple, ils adoptent des enfants qui nous sont volés, et pourtant, je ne peux me résigner à tous les haïr. Je continues donc de servir la cause des survivants, réussissant parfois à sauver l'un d'eux pour leur donner une nouvelles vie, et je n'oublie pas que la vraie raison de ma présence ici est l'enfant de mon frère, il méritait que l'on se batte pour lui comme l'avait fait Conor, alors quoi qu'il m'en coute, je resterais dévoué à moi-même, à Opaline, à mon frère.